Carmel dans le monde

Le silence dans le monde contemporain

 

   A l’aube de ce Vendredi Saint 2009, je prends la plume pour briser silencieusement le silence : celui de ce cri du Christ mort bientôt sur la Croix, cri silencieux qui emplit l’univers de silence, celui des indifférents, des complices, des atterrés. Il y a le tremblement de terre, les ténèbres sur toute la terre et bientôt meurt le vacarme, celui du monde qui vient échouer sur la Croix. Paradoxe suprême de la vie qui est le paradoxe –même, de cette vie qui se donne, de cette mort qui nous fait vivre.  Et  là nous ne pouvons tout simplement plus manger, plus nous mettre à table dans un restaurant : ça nous coupe l’appétit. A peine si nous pouvons  parler. Parfois nous y somme obligés car on ne va pas rajouter l’impolitesse et le mutisme à tant de peine douloureuse. Un grand silence se fait en nous, intérieur, une purification de toute cette volubile activité des méninges, qui jamais ne se tait. Mais la mort du Christ sur la Croix vient mettre à mort aussi les frivolités excessives, les montagnes de préoccupations qui se rappellent à nous, car pendant ce temps hors du temps qu’est la crucifixion du Sauveur ─ avec nous jusqu'à la fin ─ nous devenons silence de la tête aux pieds ; nous nous laissons pénétrer par cette ultime parole sans son qu’est l’évènement de la mort. Elle a tout à nous dire cette mort. Elle le dit sans mouvement de lèvres. Elle le dit par ce silence où d’un coup va se réorganiser notre être, aimé : la preuve. La preuve c’est la Croix, la preuve d’amour, et l’amour a besoin de preuves. Ce cadeau de silence si nécessaire dans une planète dévastée par les vociférations de toute sorte, nous le retrouvons devant le Saint Sacrement.  Un Dieu offert quand nous voulons, ou presque. Un Dieu qui meurt et qui sert, qui encore et encore crucifie le remue- ménage pléthorique des sons et propos en tous genres. On a l’impression que le monde moderne a accru à  la fois comme un cancer tous les bruits, les musiques dans les supermarchés et les musiques d’écouteurs dans  les oreilles, les bruits des avions et des radios permanentes, le bruit des usines, des voitures, des motos, des ambulances, des discours politiques multipliés et démultipliés,  le bruit des écrans et des bombes, le bruit des machines,

 

des perceuses, des aspirateurs et des mixers, le bruit des sonneries mêlées aux commérages, aux  insultes et aux idées toute faites, le bruit des villes et des gares, des sirènes à incendie , des avertisseurs , des marteaux piqueurs, des chantiers, des voisins de H.L.M. ; l’époque a augmenté ces bruits , mais aussi que de mauvais silences : communications interrompues entre les parents et les proches, les amis, l’indifférence ordinaire même à la messe où pas un bonjour , un regard, un sourire ne s’échangent entre personnes qui évitent même ce regard, mutisme des bouderies et des colères et des dépressions, silence des égoïsmes électroniques et autres empoisonnements ou virus, silence de l’argent roi et des pauvretés mortelles, silence des rapidités, des lâchetés, des enfermements, des hontes , silence du manque de temps, silence de la solitude infernale et de l’abandon. Mais au Vendredi Saint, le silence magnifique et tragique de Dieu crucifié opère, pour pacifier, unifier, montrer ce que le silence doit être : un don et une contemplation. Son alliée est par conséquent la prière, cette rareté contemporaine qui succombe si souvent sous les assauts de l’action. Le silence devrait être notre Nord, ce qui nous guide et nous attire, que nous restions enfermés dans les monastères ou que nous repartions sous- tendre les actions nécessaires. C’est pourquoi les lieux de silence sont si miraculeux, si précieux ; car un viatique si simple, le silence, a de quoi faire peur, et il faut dire et répéter qu’il n’y a pas de résurrection sans crucifixion, d’action sinon nouée dans la nécessité d’un profond silence, celui de la pensée, de la méditation, de la réflexion, de l’amour. Les gens qui aiment, qui aiment bien, ont toujours du silence en eux. C’est avec ça qu’ils écoutent, qu’ils sourient, qu’ils nous enchantent d’un geste. Car tout leur corps devient parole. Nous avons terriblement  besoin parfois de quelqu’un avec qui parler, mais il n’est d’échange véritable sans les blancs entre les mots. Apôtres du silence est une belle mission actuelle, pour le faire aimer en apportant son vrai visage qui est aussi révélation. Non la Croix n’est pas répugnante, elle est chemin, vérité, et vie et le silence du Vendredi Saint nous éclaire jusqu’à la fin du monde ; un lumineux silence. Silence du soleil, silence des plantes qui poussent, silence des montagnes et des neiges éternelles, silence des prairies désertes, des nourrissons assoupis, du linge empilé dans les armoires, du pain qui cuit, silence de la ligne

 

d’horizon, silence du cosmos et des abysses, silence des ondes et des ondées légères, silence d’un cierge allumé, d’un regard tendre et d’une main empressée, silence d’un lion au repos et d’une girafe, silence d’un tableau, silence de la compréhension mutuelle et de ce qu’on devine, silence des hautes solitudes, silence de la construction du Temple et des communions oecuméniques, silence du malade en train de guérir ou de mourir, silence des présences silencieuses,  silence de l’agneau et de l’hostie et de l’oraison et du Carmel dans le Monde: le Grand Silence. Dans le silence et l’espérance sera votre force. Silence qui suit l’eucharistie et qui est encore l’eucharistie. Prophètes du troisième millénaire, croyants et non croyants nous pouvons contribuer à  l’avènement  en Esprit et en vérité, où le silence à son tour devient roi. Certains ne peuvent envisager la religion que sous l’angle du silence ; ils ne mettraient pas les pieds à la messe mais demeurer devant le Saint Sacrement est  acceptable car ils peuvent méditer ou prier comme ils l’entendent. Avouerai – je que ce fut mon cas ; encore maintenant à part la messe − summum de ma foi et enchantement  perpétuel −j’ai toujours du mal avec les prières vocales et les offices. Je fus attirée par le beau silence des églises qui fut si doux, si tolérant, si respectueux de mes lenteurs et autres affolements. Il m’a menée avec tant de pénétration vers Celui qui se cachait en lui. J’aime ce silence-là, car il est prophétique et  la planète entière pourrait  s’y rencontrer. Elie et Jean – Baptiste l’ont cherché au désert ; ils sont toujours là pour nous l’annoncer. Notre mission peut être purement et simplement la présence silencieuse. Pensons –y  quand nous craignons de nous joindre à une réunion, une assemblée où nous ne saurions trop quoi dire.  La présence nourrie d’eucharistie et d’adoration  suffit ; elle rayonne et certains, malades ou mal en point, nous appellent .Un  enfant leucémique réclamait chaque semaine la présence du simplet du village pendant son traitement à l’hôpital et  on passait le chercher en voiture ; lui seul savait détendre l’enfant simplement en étant là. Il faut reconnaître qu’il n’était pas totalement silencieux mais lançait aussi quelques blagues.                    

 

 

 

E.H.